Un jour lointain, quelque part dans le futur, les professeurs et les élèves s’interrogeront sur la barbarie de notre système éducatif. J’exagère ? Prenons les cinq « derniers de la classe » de n’importe quelle école. Ils assistent à un cours. C’est obligatoire. Il y a des mécanismes administratifs qui les forcent à être là, dans la classe. Le professeur parle. Ces élèves ne comprennent pas ce qu’il dit. Ils reçoivent des sons, mais pas la moindre idée de ce que cela veut dire. Les leçons se succèdent ; ils s’enfoncent davantage. Et puis, il y a les tests et les examens. Ils reçoivent de très mauvaises notes, comme d’habitude. Le professeur rend les copies avec des annotations dévalorisantes. Les parents sont effondrés, désespérés, désemparés ce qui enfonce davantage nos cinq « cancres ». Et puis le professeur passe à la leçon suivante. C’est le programme, c’est obligatoire. À la fin de l’année, les élèves devront avoir suivi le cursus réglementaire de l’année. Le professeur n’a pas le choix ; les élèves non plus. Tout est réglementaire – c’est obligatoire, obligatoire, obligatoire – c’est le règlement – personne n’y peut rien – il y a un règlement et tout le monde doit obéir – sinon c’est le désordre.
Imaginez qu’on rassemble tous les députés, tous les sénateurs, tous les politiciens et hauts-fonctionnaires dans une grande salle. Ils n’ont pas le choix, ils doivent venir, c’est obligatoire. Ils doivent assister à un cours de mathématiques par monsieur Cédric Villani. Il porte sur les dernières équations.
On met ces braves gens dans les mêmes conditions que des élèves de primaire ou de secondaire. Ils n’ont pas le droit de sortir de classe, sauf quand c’est l’heure. Ils doivent être attentifs parce qu’à la fin du cours, il y aura un examen et s’ils ne le réussissent pas, ils perdront leurs postes.
Ce cours dure six heures par jour, pendant trois mois (juste un petit trimestre). Monsieur Villani leur assène ses équations, heure après heure, jour après jour, semaine après semaine. Personne ne comprend rien, mais ils doivent être là sous peine d’être punis. Ils ne doivent pas s’endormir, ni bavarder, ni travailler sur l’ordinateur – ils doivent écouter le professeur qui parle et parle et parle et démontre ses redoutables équations.
M’étonnerait que les « élèves » tiennent trois jours sans se révolter. On aurait une émeute, grève, occupation des locaux, destruction des serveurs d’examens, tags sur les murs, saccage des locaux et du mobilier.
Mais imaginez si en plus de ça des « parents » les assommaient de remontrances une fois rentrés chez eux pour « ne pas travailler assez ». Des enfants recevaient des torgnoles pour moins que ça, il fut une époque.
Non, ils ne tiendraient pas un trimestre, mais c’est ce que doivent subir des dizaines ou des centaines de milliers d’élèves année après année.
Si les étudiants et les professeurs du futur disposaient d’une fenêtre espace-temps et nous observaient, ils n’en croiraient pas leurs écrans. Quel beau cours d’histoire de l’éducation ils auraient là.
Pour apprendre quelque chose, pour comprendre quelque chose il faut du temps. Certains esprits apprennent et comprennent vite, pour d’autres c’est plus lent.
Voici une bonne définition du mot « comprendre ». C’est la traduction d’une définition anglaise de la première édition du Webster’s Dictionary of synonyms de 1942 – un vieux dictionnaire. Je la trouve très explicite.
« Comprendre : avoir une idée ou une conception claire et vraie, ou bien une connaissance exacte et complète de quelque chose.
« En général, on peut dire que comprendre se réfère au résultat d'un processus mental ou de processus mentaux (une idée ou une notion claire et exacte, ou une connaissance complète).
« Comprendre implique la faculté de recevoir et de retenir une impression claire et vraie. »
La compréhension est loin d'être un gadget !
Le deuxième point est l’acquisition de savoir-faire. Savoir écrire des lettres, des minuscules, des majuscules, savoir les tables d’addition, de multiplication, la règle de trois, savoir l’alphabet à l’endroit et à l’envers, instantanément, sans avoir à réfléchir, toutes ces choses sont des savoir-faire. Certains élèves les apprennent vite, certains lentement ; pour quelques-uns, c’est sans effort, pour la plupart, c’est un travail fastidieux, voire douloureux.
Pour acquérir des savoir-faire, c’est du travail. Parfois c’est plaisant, parfois pas. Que l’on apprenne en s’amusant ou en travaillant d’arrache-pied, on en revient toujours au même : de la répétition, de la répétition, de la répétition, jusqu’à ce qu’on sache le faire sans avoir à réfléchir.
Savoir faire et comprendre sont les deux principales cibles d’un élève, de tous les élèves. Il faut laisser le temps à chacun de faire son chemin. Et il faut laisser filer à son allure celui qui est rapide en compréhension et en savoir-faire.